Dans le corps du serpent
Comment un animal dénué de bras et de jambes peut-il attraper et tuer sa proie ?
Le python est un prédateur hors pair. Il sait s'abattre sur sa proie aussi soudainement et rapidement que la foudre.
Il ingurgite sa proie par la tête. Car l'animal glisserait difficilement jusqu'à son estomac, s'il était avalé dans le sens contraire des poils ou des plumes. Pour engloutir une telle bouchée,
le serpent se décroche littéralement la mâchoire inférieure, très mobile. Si la déglutition est impressionnante, la digestion ne l'est pas moins.
DR. STARCK : Lorsque ce genre de serpent se nourrit, il ingurgite d'énormes quantités d'un coup. Ça peut même atteindre sa propre masse corporelle. C'est comme si un européen moyen absorbait soudain, après six mois de jeûne, un hamburger de 70 kg afin de pouvoir jeûner à nouveau six mois ou même un an.
Ne rien manger pendant des mois puis engloutir d'un coup des quantités incroyables ? Comment le python digère-t-il un tel festin ? C'est ce qu'étudient les zoologues de l'université de Iéna d'une manière assez remarquable. L'objet de leur étude ? Des pythons de 3 mètres de long. Leur démarche ? Des méthodes respectueuses de la vie. Selon les protocoles traditionnels, des centaines de serpents auraient fini sur une table de dissection et la fiabilité des résultats aurait été moindre. Mais, en utilisant, comme ils l'ont fait, des techniques dites non invasives telles que les ultrasons et la radiographie, la vie des animaux est préservée et la digestion peut être observée in vivo.
La radiographie permet d'observer la décomposition des aliments. Voici l'estomac d'un python encore vide.
Le même estomac, juste après l'ingestion d'un lapin dont on voit nettement la tête.
Vingt-quatre heures plus tard, les premiers signes de dissolution sont visibles. 33:33
Enfin, cinq jours plus tard, le lapin s'est dissout dans l'estomac du serpent sous l'effet du suc gastrique.
On peut également constater à l'il nu que le serpent a mangé. Son corps présente en effet une bosse qui disparaîtra seulement lorsque sa proie se sera totalement transformée en bouillie.
Les chercheurs de Iéna ont fait une découverte surprenante : les pythons possèdent une sorte de " turbo-digestion ". Foie et intestin grêle se distendent jusqu'à tripler de volume. L'écart est énorme. Les appareils à ultrasons les plus modernes permettent d'observer la distension de ces organes ainsi que la totalité du processus de digestion, qui dure une dizaine de jours.Voici, par exemple, en coupe longitudinale, l'image obtenue par ultrasons de l'intestin grêle d'un python en train de digérer. On y voit une masse en mouvement. C'est le bol alimentaire qui vient de pénétrer dans l'intestin grêle. Une reconstruction tridimensionnelle des principaux vaisseaux sanguins du foie fournit des informations sur l'activité digestive. Elle permet en effet de comparer la quantité de sang circulant dans les vaisseaux, pour un volume de tissu et un laps de temps donnés, pendant la digestion et au repos.
DR. STARCK : On pensait jusqu'alors que la distension des organes était due à la formation de tissu, que des tissus étaient formés par division cellulaire. En utilisant les techniques cytologiques, nous avons pu montrer que le mécanisme sous-jacent est bien plus sophistiqué et d'une toute autre nature et qu'il a lieu sans formation de cellules. C'est un procédé qui suppose une dépense énergétique très importante. Dans le principe, on peut dire que l'intestin grêle se dilate durant la digestion sous l'effet de la pression artérielle, peut-être aussi de la pression de la lymphe. Il garde alors cette taille, puis retrouve sa forme initiale lorsqu'il n'est plus sollicité.
Les chercheurs ont prouvé que ce mécanisme n'impliquait pas la formation de cellules en analysant des prélèvements de la muqueuse de l'intestin grêle réalisés par endoscopie. Pour ce faire, ils ont utilisé un cytomètre en flux, un appareil qui permet de compter les cellules en division.
Le processus d'ingestion et de digestion du python représente un effort considérable pour l'animal. A peine commence-t-il à avaler sa proie qu'il se met à respirer profondément. Le cur et les poumons fonctionnent à plein régime. Lors de la digestion, le serpent a besoin d'un apport en oxygène 40 fois supérieur à la normale. Un cheval au grand galop est également capable d'une telle performance, mais pendant quelques minutes seulement. Le python, lui, tient plusieurs jours à ce rythme.
Peut-on modifier le comportement alimentaire d'un python ?
DR. STARCK : Nous avons essayé. Et nous avons constaté que, si l'on nourrit les pythons tous les trois jours, ils cessent tout simplement de s'alimenter au bout d'un mois. Ils n'ont plus d'appétit. Nous savons aujourd'hui que c'est sans doute parce que nous avons contraint ces animaux à faire appel à leur " turbo-digestion " pendant tout un mois. Il s'agit d'un phénomène qui entraîne l'usure d'un grand nombre de cellules et pendant ce temps, pendant ce mois, les animaux n'ont pas pu renouveler les cellules utilisées. Il fallait qu'ils reviennent à l'état de repos à un moment donné et cela s'est pleinement exprimé par leur perte d'appétit.
Ingérer de petites quantités en plusieurs fois
Le mode d'alimentation recommandé pour l'homme ne convient absolument pas au python. Son comportement alimentaire est d'autant plus fascinant, surtout quand on sait l'énergie que mobilise sa digestion.